Le "Chaos-germe", essentiellement manuel, celui dont parle Paul Klee comme d'un gris, ou Francis Bacon comme d'un diagramme, est "présent" dans cette salle aujourd'hui ensoleillée de la mairie de Villar Loubière, Valgodemar, Hautes-Alpes pour le 1er Festival Godemar.
En Arts Plastiques, en sculpture comme en peinture, les rapports de l'oeil et de la main ont toujours été un problème central, premier, fondateur, une préoccupation essentielle des artistes confrontés à l'acte de création. La main, épuisée par une subordination au regard, tente de s'évader. La main devient folle et, enfin, s'impose à l'oeil. "Animée d'une volonté étrangère", la main affole l'oeil et en sort la ligne septentrionale, expressionniste, gothique ! Ce moment, souligné par Willem Woringer, s'extrait de ses bases architecturales ou littéraire. Il désigne une volonté d'art nouvelle, cristalline, partant sur les traces du maniérisme, des fractures et catastrophes de l'aventure artistique.
Ouvertement, dans cette salle, les travaux de Guillaume Léon et Cornelius Delaney tendent vers ce second caractère de l'art : le système trait/tache/modulation. Opposé au premier, le système ligne/couleur/moulage (beaucoup plus proche d'un art visuel...), cette tendance que l'on nommera "Septentrionale" pourrait parfaitement être représentée par les invasions barbares (de l'est, de l'orient, du nord, goths, anglo-saxonnes ou burgondes...) contre "Méridion", soit l'Empire Romain d'Occident héritier des Grecs et de la haute-Antiquité.
Il n'existe pas de travail artistique détaché de son contexte, de son espace-signal. A l'heure supposée de l'effondrement d'un système, le cycle arrivant à sa fin côtoie le cycle approchant du début. C'est, maintenant, du temps de l'être dont il va s'agir. Ce temps, non-organique, impose à l'oeuvre une "vie" cristalline, une modulation, une ébullition, un effondrement des données optiques... Ce temps est celui du Rhythmous contre le Skêma, de la Macula contre le Pingere, de Septentrion contre Méridion.
In chaos veritas
Dans les tableaux de Cornelius Delaney, la ligne change de direction à
chaque instant. Les figures posées au préalable en numérique, se
disputent la sortie de la surface pour se distinguer à
la lumière du troisième oeil. Trois tableaux, trois images,
non-figuratives. Le plus ancien, Cannibal
Dynamo, et deux autres, de la récente année
2020. Il s'agit donc d'un travail qui va du code à l'acte pictural, de
la figure identifiées (personnalités australiennes) à la production
d'images. Un travail qui cherche à effacer les données visuelles pour
que surgisse le fait. Du datum au factum, si le peintre y parvient.
L'année dernière Cornelius Delaney, est passé d'un format carré 100x100 (Cannibal Dynamo) où l'espace frontal se définit avec découpage à plat par effet de papier peins (comme dans les différents portraits du Facteur Roulin), à un format plus large 200x100 cm avec changement d'axe, qui nous perd au beau milieu de ciels nuageux naissants ou finissants. Cette proposition de chaos "ordonné", nous éclate au visage. Les personnages, anciennement figés, balthusiens, aujourd'hui détachés de l'attraction terrestre, flottent autour des véritables présences : les nuages.
Ces nuages zébrés d'étoffes couleur chair et de peaux fauvistes aux reflets verts, seront "traqueurs", ou mains de dieu, selon que l'on se rapproche de la La Chapelle Sixtine ou d'Harry Potter. Ils se posent en coordonnées d'une géographie nouvelle. Les plans ne tombent plus les uns sur les autres, mais sont liés par un déséquilibre fondateur. Cornélius Delaney, peintre, s'attaquent encore et encore à transpercer, et dépasser, l'espace vital, de part en part, de l'élan de vie à l'élan de mort : de Rococo ("Type de décoration, avec des coquillages et de petites pierres, de grottes et de pavillons pour les jardins... Peintures sur toile, dessus de porte, grands écoinçons, sont réalisés dans un style gracieux et spirituel, illustrant une imagerie délectable, insouciante ou volontairement dépaysante, avec une technique savante au service du coup d’œil de l’amateur.") à Mortuus ("Mort de l'allemand Mord (« meurtre »)...
Au delà des pulsions, il semble chercher encore et toujours la réponse à la question posée pour sa thèse de Doctorat "Peut-on, aujourd'hui, encore produire un art transgressif ". S'octroyant cet hiver un temps de pose vers la réalité virtuelle, Cornelius Delaney a laissé en suspend sa peinture, comme autant d' humains-symboles flottants dans l'inter-espace de ses nuages.
Morceaux d'art figural, passés par les antipodes, revenu en occident gothique, de l'Irlande à l'Australie et inversement, détachés du sujet et des figures, ces images iconiques témoignent par regard intérieur d'un possible temps de l'être. Elles se dirigent vers le temps quantique, en mode cristal, dotées d'un ligne de vie intense. Elles vibrent d'une calme modulation, véritable réponse oxymore à toutes les questions du peintre Delaney et de la peinture dans leur affrontement au Chaos...
Sur la voie ferrée
Une île entre le feu et l'eau, à la surface... Lorsqu'il s'agit de souder deux atomes entre-eux, deux morceaux d'irréalité, d'abstraction concrète (l'amas de fer tombé d'une benne par exemple), la main apparaît évidement comme le liant essentiel. De là, de ce non-moulage encore chaotique, il va falloir tirer une harmonie, souligner la frontière dépassée ou en passe de l'être. D'une plaque de fer, extirper un regard, un signe d'humanité, même si le métal se forme en robot ou en module spatial, même s'il représente quelque chose ou quelqu'un de reconnaissable, l'acte artistique, lui, montre l'instant ou les morceaux tiennent entre-eux. A base de force, de coups violents ou de chaleur intense, Guillaume Léon obtient la douceur organisée d'une surface cristalline. Ces créatures se déploient aux enseignes publiques, à la vue de tous, au coin d'une rue ou d'un mur. Et leur présence est douce.
Ce chemin du fer, venu de si loin, nous est traduit par le sculpteur-forgeron afin d'en comprendre le rapport au temps, lent, et le rapport à l'espace, essentiel. Comme un organe sacralisé par les techniques égyptiennes, la sculpture sort de son propre état primitif pour devenir autre, affrontant le premier plan avec une inquiétude gracieuse. Souvent issue de récupération, déchetterie ou rebut, la matière reconstituée reprend le cours d'une vie interrompue. Et que l'on suppose à nouveau infinie. Cette inscription dans un temps long contraste avec la fin programmée des petites unités de ferraille. L'acte de concentration, d'effacement des données premières accolées aux morceaux d'objets divers se transforme en langage constitué, patient.
Le rapport au territoire est chose compliquée voire inaccessible pour l'artiste lambda. Depuis plus de 20 ans, Guillaume Léon pose sa marque au bouillonnement apaisé sur les enseignes, escaliers, ramures d'un espace visible par tous. Street-artiste en volume, il accroche là une enseigne de cinéma (phénix), souligne ici l'activité d'un tatoueur (dragon). Et ses œuvres restent, prennent vie dans le paysage urbain aussi bien que sur les murs d'une salle d'exposition. Cette main sure qui forge, nous la retrouvons pleine de doigts accrochée au manche d'une guitare. Guitare de luthier ami, bien sur, construite dans la même réalité têtue, avec des bouts de bois, de la nacre, des cordes d'acier et des boutons de fer....
Il n'y a là aucune lutte contre les faux-semblants, le monde numérique ou le virtuel. Guillaume Léon est un îlien. Il a construit son autarcie, son territoire intime, à partir d'un noyau libre, en fusion, mais au calme d'un four agréable, maniable, au premier sens du terme, qu'il s'est confectionné.
Pour un brasier à échelle humaine.
Dans les sens du papier
Laetitia Rambinintsoa, granit et volcan, a choisi la surface plane d'une feuille de papier comme moyen principal d'expression. Sa mission, sauver l'essence des choses en soulignant la profondeur de la surface. A coups de pop-up, de cutter ou d'embossage, elle s'attache à traduire l'impossibilité des points de vue, en langage commun. En créant une source imagée, attirant l'attention au delà du visuel et des données parasites, elle concentre le flux des langages comme on réunit ses mains pour se rassasier au petit filet d'eau invisible et discret. C'est une égyptienne !
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